Valérie Lesage | 10 novembre 2021
Les catalyseurs dans les entreprises familiales jouent souvent un rôle informel et incarnent un leadership discret. C’est pourquoi certaines personnes que nous vous présenterons dans cette série préfèrent garder cette discrétion digne et responsable, tout en révélant les subtilités de leurs efforts pour assurer la pérennité des familles entrepreneuriales. Nous vous racontons de vraies histoires, avec des noms fictifs!
D’aussi loin qu’elle se souvienne, Alice courait dans le garage de l’entreprise familiale avec ses cousins et jouait à la secrétaire dans les bureaux, en laissant quelques traces indésirables. Son immersion enfantine dans le monde des affaires s’est donc faite en famille, mais la suite de l’histoire a laissé la place à un sentiment de solitude dans son désir d’explorer les possibilités en vue d’assurer une transition durable des entreprises vers la troisième génération des Beaudet, un grand groupe de cousins et cousines animés de passions variées. Avec ses connaissances acquises à l’université, son sens entrepreneurial et un soupçon de naïveté, Alice a pris des initiatives pour faire émerger sa génération dans l’entreprise familiale. Mais sans rôle formel établi et reconnu, elle s’est heurtée à des obstacles en chemin, avant de comprendre qu’il pouvait y avoir autour d’elle une belle équipe engagée et capable de faire avancer la transition.
Au départ, la jeune femme n’était pas investie du désir d’intégrer l’entreprise familiale de sa famille, active notamment dans le transport et la pêcherie. Elle a donc quitté sa région natale pour étudier à Montréal, mais finalement, elle s’est intéressée aux entreprises familiales, découvrant un terrain vaste et complexe, entre relève, succession de propriété, dynamiques internes, conflits et gouvernance.
« J’ai vu que le lâcher prise des propriétaires d’entreprises peut être difficile. Souvent, tout le monde autour voit les compétences du repreneur, sauf le relayeur », a-t-elle observé lors de ses explorations.
Il y a une dizaine d’années, elle et son conjoint ont décidé de revenir en région, puis Alice, sans nourrir alors l’envie de la relève, a rejoint ses parents et la grande famille dans le holding familial. Un peu plus tard, animée d’une force douce et tranquille, elle commence à discuter de relève et tente de nourrir la réflexion sur le sujet. Mais le dialogue a eu du mal à s’installer.
« J’ai compris qu’il fallait se faire accompagner parce que si on est partie prenante de la relève, on ne peut pas vraiment mener le processus sans créer de la division », a-t-elle appris de son expérience. Alice partage cet apprentissage avec la sensibilité et la maturité propres aux catalyseurs, des leaders méconnus qui ont le don de s’entourer des bons compléments.
Dans le type de situation qu’elle a vécu, les autres membres d’une famille peuvent percevoir les initiatives du leader informel de la relève comme une tentative de prise de pouvoir.
« Pour moi, la motivation n’a jamais été de ce côté, souligne pourtant Alice avec émotion. Mon désir est de créer quelque chose de plus grand pour les générations futures. »
Il a fallu quelques accompagnements pour clarifier les choses et redonner de l’espoir que chacun trouve sa voie dans le processus de relève. Quand les Beaudet ont rencontré les bons guides et qu’ils ont pu s’éduquer sur les rôles dans la famille et dans l’entreprise pour en faire la distinction, ils ont pu comprendre que l’investissement dans la sphère familiale intergénérationnelle est fondamental au succès de la transition. C’est à ce moment qu’Alice a saisi qu’elle était un catalyseur pour sa famille, un rôle qui jusque-là n’avait pas de nom.
« C’est la première fois où j’ai pu mettre des mots sur ce qui m’animait. Et alors, j’ai su que d’autres personnes avaient de l’intérêt pour la famille. Je me suis sentie seule jusque-là, mais j’ai enfin vu que nous pouvions travailler en équipe. Et quand nous voulons faire avancer un processus, nous ne sommes jamais trop! »
À l’aube de la quarantaine, Alice Beaudet voit enfin un horizon rempli d’espoir. Mieux comprendre les possibilités et les entités (famille et entreprises), permettra de formaliser des rôles, ce qui rendra plus légitimes les actions de chacun dans la route vers l’épanouissement de la relève.
« Mon espoir, c’est que tout le monde dans ma génération soit heureux et que chacun trouve sa voie. »
Ce texte est écrit en collaboration avec Jessica Grenier, présidente et associée chez ORIA, qui agit comme guide pour orienter des familles entrepreneuriales et des professionnels vers un mouvement positif en repreneuriat familial.